Ici, à l’abris du vent, cela me semblait bien pour passer la nuit.
Le moteur était à peine froid que la brume avait déjà enveloppé ma voiture de son épais duvet. Derrière, le soleil encore haut dans le ciel n’avait pas l’intention de rejoindre les bras de Morphée. Les insomnies estivales étaient de mise sous cette latitude.
Je ne désaffectionnais pas le fait de dormir dans ma voiture, mais ce soir, seule au fin fond de l’Ecosse, j’aurais préféré un lit douillet dans un lieu davantage sécurisé.
Sur les centaines de kilomètres parcourus, je n’avais trouvé aucune chambre de libre, pas même dans la plus miteuse des auberges. Cela me rappela la fois, alors qu’à tout juste seize ans, des amis et moi avions roulé des heures sur la côte californienne à la recherche d’une chambre – en vain. Nous avions finalement dormi dans le coffre de notre voiture sur le parking sombre d’un hôtel.
C’était ça le risque de partir sans rien prévoir.
Épuisée par le trajet, je me glissai dans mon sac de couchage et fermai les yeux. La nuit s’annonçait longue. Je n’aimais pas dormir.
Synonyme de perte de temps, je n’acceptais pas le fait d’être contrainte à m’allonger pendant un tiers de mon existence alors qu’il y avait sur cette planète, tant de choses à découvrir, à expérimenter, à voir, à comprendre. Les errances nocturnes côtoyaient ma vie depuis si longtemps que le souvenir de dormir une nuit complète effleurait le néant.
Le vent forcit et la pluie se mit à frapper de ses milliers de gouttes le véhicule. Prise dans cette tempête typique de la région, je fus ballotée de droite à gauche tel un navire en perdition. Mon rythme cardiaque s’accéléra et mon imagination s’emballa. Et si la voiture se renversait ? Est-ce que les vitres résisteraient à cet affront de la nature ? Et si un inconnu m’attaquait ? Est-ce que les vitres résisteraient à cet affront de l’homme ?
Je m’endormis à peine.
Je me réveillai en sursaut toutes les trente minutes. Dehors, le brouillard se délectait à sculpter de ses doigts veloutés, chimères et créatures diaboliques venues m’accompagner dans cette traversée nocturne. Je n’étais pas à l’aise.
Mais n’était ce pas uniquement dans ma tête ? Ne pouvais-je pas vivre la situation de manière plus sereine et légère ?
Une tempête n’était finalement que temporaire. Tout comme l’étaient mes fabulations. Et tout comme l’était cette épisode inconfortable – une fraction de seconde dans mon existence. Je me reconnectai au moment présent, en respirant profondément par le ventre et en activant tous mes sens. Du bout de mes doigts, je caressai l’intérieur doux de mon sac de couchage, j’écoutai attentivement le murmure de ma respiration, je contemplai les couleurs flamboyantes du chapeau mexicain trônant fièrement du haut de sa plage arrière. Mes narines s’abreuvèrent de la rassurante effluve qui s’émanait des gouttes d’huile essentielle de lavande semées le long de mes manches. Et finalement, j’activai mes papilles encore engourdies par l’effet mentholé de mon dentifrice.
Je me rendormis.
Au petit matin, la tempête avait cessé, le brouillard et ses œuvres maléfiques s’étaient retirés pour laisser place à un spectacle d’une beauté inouïe. Je compris alors, pourquoi l’Univers m’avais conduit ici.



