Je salue une dernière fois Donny et Gayan avant de poser mes fesses sur la modeste banquette de l’autobus qui me conduira jusque dans la ville de Dambulla, puis sur celle d’un tuk-tuk pour rejoindre ma destination finale : Sigiriya. Plus connue sous son p’tit nom du rocher du Lion. Haut lieu archéologique.


À mon plus grand désespoir, je me rends compte rapidement d’une terrible erreur de touriste débutante. Je viens de fouler le sol d’un site classé à l’UNESCO, en plein mois de juillet, à midi, quand le soleil est déjà haut dans le ciel et que les gouttes de sueur nées à la base des cervicales ont déjà toutes atteintes, ex-æquo, la ligne finale sacrée. Pas de sprint pour moi. Je suis forcée d’accorder ma vitesse de marche à la foule de vacanciers qui apparemment, a décidé de prendre tout son temps pour ascensionner la forteresse du feu roi Kassapa.
L’histoire raconte qu’à la fin du 5e siècle, Kassapa, le fils ainé adultérin du roi d’Anuradhapura (vous vous rappelez, la capitale du royaume à ce moment-là) contesta le choix de son père bien décidé à introniser son benjamin légitime : Mogallana. Mais Kassapa ne l’entendait pas de cette manière. Il emmura son père vivant et contraignit son petit frère à un exil forcé en Inde.
- Je reviendrai me venger, affirma le cadet.
Kassapa inquiet, décida de déplacer la capitale d’Anuradhapura pour l’installer à Sigiriya, et c’est ainsi qu’il fit construire une nouvelle forteresse en haut du rocher.
Le site ayant l’avantage d’être protégé par une épaisse jungle.
Kassapa s’y installa avec la crainte du retour de son frère mais également avec la douceur de ses mille courtisanes appelées les « demoiselles de Sigiriya ».

C’est tout juste 18 ans plus tard, que Mogallana, qui avait eu le temps de lever une armée traversa le détroit de Palk en direction de Sigiriya où il apprit que son frère demeurait. Depuis le sommet de son rocher, le confiant Kassapa ordonna de boucler toutes les entrées de sa forteresse lorsqu’il vit les troupes de son cadet arriver.
Kassapa en était sûr, le combat était gagné d’avance. Qui pouvait bien prendre la forteresse du Lion ?
Mais le jeune frère, futé, n’avait pas dit son dernier mot et choisit de jouer la carte de la patience. Il assiégea le site en déployant ses troupes tout autour du rocher. Kassapa avait pensé à tout, mais pas à ça ! Sa confiance s’effrita au fur et à mesure qu’il voyait son stock de nourriture s’amenuiser. Il n’avait pas envisagé un plan de ravitaillement en cas de siège. Il ne fallut qu’une semaine pour que Kassapa, affamé, descende se livrer. Il fut exécuté sur le champ.
Mogallana reprit la régence du royaume et la forteresse de Siririya fut à jamais abandonnée.
Quelle drôle de défaite quand-même.
Il ne me faudra que deux petites heures entre l’ascension, la descente et le retour vers l’arrêt de bus, c’est beau, mais c’est clairement trop bondé à mon goût. Ça retire tout le charme et l’authenticité du lieu.


Dépitée, je m’assois sur un caillou au bord de la route en attendant patiemment qu’un bus ne daigne pointer le bout de son nez. Et cette fois-ci, je n’ai malheureusement pas de ramboutans pour faire passer le temps, par contre, j’ai une voisine à qui faire la causette.
- Hello, my name’s Galia, and you?
- I’m Sara.
Ce n’est pas dans mes habitudes d’accepter de suivre des inconnus, mais me voilà le lendemain à vive allure à l’arrière du scooter de Sara. Je suis affublée d’un casque de chantier, tandis que ma pilote elle, a les cheveux au vent « One helmet is enough ». Il parait qu’il existe un lieu non loin de là, bien mieux que le rocher du Lion et selon elle correspondant davantage à mes attentes – le rocher de Pirudangala.

L’air frais frappant mon visage a pour effet de revigorer mes paupières qui elles, visiblement ne se sont pas totalement remises de ma nuit mouvementée. Couchée au sommet de mon lit à baldaquin j’étais telle Kasappa, assiégée par une horde d’envahisseurs. Des crapauds voulaient passer, eux aussi, la nuit dans ma chambre. Mes tentatives pour les empêcher de s’introduire furent vaines. La défaite fuit cuisante. Crapauds 1, Galia 0.

Nous repassons devant l’entrée du site du rocher du Lion, et longeons (toujours à vive allure) les douves de la forteresse où des crocodiles se font dorer les écailles. Puis nous nous enfonçons dans la fameuse « épaisse » jungle qui se densifie au fur et à mesure que nous roulons. Sara ralentit et me montre du doigt d’imposantes termitières :
- Les cobras et les iguanes font généralement leur sieste à l’intérieur car il y fait chaud, ne t’en approche pas !
Quelques minutes plus tard, elle éteint le moteur de sa bécane et nous chaussons nos pieds pour ascensionner ce nouveau rocher. Nous passons devant un modeste temple dans lequel des femmes sont en train de prier.
- Elles prient pour le succès de leurs enfants.

Nous montons le long d’un étroit sentier de terre, çà et là, des bouddhas camouflés par la nature vivent paisiblement, loin de la cohue de Sigiriya. L’ascension est rude, mes cuisses n’ont pas encore récupéré du millier de marches de la veille. Après une petite demi-heure nous arrivons au bout du chemin et d’énormes rochers recouverts de ronces et de branches nous font face. Sara se retourne et me demande :
- Tu veux voir la plus belle vue du Sri Lanka ?
Je remonte mes pantalons indiens que je porte depuis plusieurs semaines et escalade les derniers mètres entre broussailles et lianes. Sara me tend la main et nous voilà sur le toit du monde avec une vue à 360 degrés sur toute la forêt. En face, s’agrippant au dos du lion nous distinguons les vestiges de l’ancienne forteresse de Kassapa, derniers témoins et preuves de la grandeur de Sigirya.
Nous nous asseyons au soleil et prenons un instant pour savourer ce silence.



Retour sur le premier épisode : À Anuradhapura en train tu te rendras.
Retour sur le deuxième épisode : Entre les stupas tu déambuleras.