Depuis combien de temps n’avait-elle pas trempé ses orteils dans une eau aussi turquoise ?
Quelle sensation de liberté que de sentir la fraicheur marine sur ses pieds encore moites d’être restés enlacés trop longtemps dans leurs chaussures. Ce sentiment de délivrance, elle aussi l’avait ressenti lorsqu’elle avait décidé de venir ici, après des mois d’enferment sanitaire. Quitter le continent et prendre la mer avaient été salvateur.
Il n’était pas encore midi que les températures avoisinaient déjà 25 degrés, l’air était chaud et humide comme elle aimait, ça aussi ça lui avait manqué. Nous ne sommes vraiment pas faits pour rester emprisonnés s’était-elle dit.

Ce matin, la plage était calme. Le vent s’était levé et aucun baigneur ne s’aventurait dans les vagues tourmentées. Elle sortit de l’eau et rejoignit le paréo jaune qui lui servait de serviette. Elle s’allongea un moment au soleil à l’abris d’un rocher, les orteils enfoncés dans le sable chaud. C’était un paréo que maman lui avait rapporté de Palawan. Elle regarda autour d’elle, sable blanc à perte de vue, était-elle, elle aussi à Palawan ? Qui aurait dit non à un tel paradis après tous ces mois de captivité ?
Elle regarda sa montre, il était déjà l’heure de partir. Elle ne voulait pas rentrer, c’était son dernier jour sur l’île et la quitter la rendait triste. Elle ne voulait pas retrouver sa routine quotidienne, cette routine que la société lui imposait de force et dont elle ne savait comment s’en échapper.
Un voilier passa au loin.
Elle aussi aurait bien mis les voiles pour des horizons lointains, pour des horizons d’aventures. Les humains n’étaient donc pas de curieux explorateurs ?
Elle replia ses affaires, marcha une centaine de mètres en s’enfonçant dans le sable, le vent lui fouettait les yeux, elle se couvrit le visage avec le paréo. Elle remercia à nouveau sa mère. Elle arriva aux modestes escaliers qui la reliaient à la civilisation, en haut, son vélo l’attendait. L’île ne se parcourait qu’à la force des jambes.
Elle jeta son sac dans le panier et enjamba sa bécane. Le chemin de terre qui rattachait la plage au principal village où elle embarquerait était étroit et caillouteux. Il n’y avait toujours personne à la ronde, elle s’était enfoncée loin dans les profondeurs de l’île. Le sentier traversait une épaisse forêt de pins, dans laquelle le vent répandait la senteur singulière de cette essence.
- Bonjour, lui lança un couple qui passait à pied.
Ce fut les premières et dernières personnes qu’elle croisa avant d’arriver, une demi-heure plus tard au pied du fort qui surplombait fièrement ce havre de paix. Cela annonçait malheureusement sa proche arrivée du village. Elle sentit dans ses jambes une certaine résistance à pédaler. Comment pouvait-elle mettre fin à ce périple ?


En arrivant au village, elle déposa son vélo à l’hôtel et récupéra sa petite valise à carreaux beige et marron. C’était aussi un cadeau d’un des voyages de maman. Elle la regarda un instant, le beige n’avait plus que le nom, il s’était obscurcit avec les différentes aventures passées. Une grosse tâche orange sur la poche avant lui rappela la fois où sa bouteille de bétadine avait explosé entre les aéroports de Delhi et Londres. Dessous, entre les deux roulettes, le tissu déchiré était un vestige de toutes ses péripéties dans la brousse congolaise. Et malgré ça, elle était toujours là, d’aplomb, droite et fière sur le quai prête à embarquer et prendre le large. Elle était une belle leçon de persévérance. J’aimerais être aussi sûr de moi se dit-elle en la regardant.
Le bateau leva l’ancre rapidement.
Elle jeta un coup d’œil une dernière fois sur cet éden dont le jardin luxuriant semblait flotter sur ces eaux translucides. Était-ce un rêve ou la réalité ? La traversée entre les deux mondes ne dura pas plus d’une dizaine de minutes, tout juste le temps de réaliser que son aventure était terminée. Les eaux s’étaient assombries tout comme l’était son esprit. Elle décida que c’était la dernière fois qu’elle ressentait ça, elle n’était pas née pour vivre enfermée dans cette société. Un goéland fendit le ciel au-dessus d’elle, elle aussi était un oiseau libre.
